Le muscari à toupet prospérait sur un coteau, dans une prairie un peu sauvage, au-dessus d'un petit village.
Il était assez répandu pour ne pas figurer sur la liste des espèces végétales protégées. Si on l'avait appelé gagée jaune ou biscutelle lunetière, les plus hautes autorités seraient venues l'assurer de leur indéfectible soutien.
Près du muscari, de grands arbres avaient pris le temps de s'installer. Ils n'étaient pas assez nombreux pour constituer une forêt digne de retenir l'attention des aménageurs.
Un peu plus loin, quelques personnes cultivaient encore leur jardin, mais les hommes, pour la plupart, ne voyaient aucun intérêt dans un tel divertissement.
Des chevaux s'ébattaient dans l'herbe, mais ils allaient bientôt devoir quitter ce terrain constructible dont la valeur marchande venait, par faveur administrative, d'être multipliée par mille.
Des gens menaient calmement leur vie dans un environnement rural qu'ils avaient choisi. Ils ne pouvaient influencer une majorité de propriétaires terriens avides de profit.
Le terrain était pentu, en partie rocheux, difficilement accessible, mais ce n'est qu'affaire de terrassements. Un immense lotissement a pris la place des arbres, des jardins, des chevaux, et du muscari, sans avoir le toupet de prendre aussi son nom. Le village autrefois endormi est maintenant, à heures fixes, bourdonnant d'activité : un flot de véhicules le traverse matin et soir en entonnoir. Le pays singulier - qui avait failli échapper au développement urbain - peut enfin apprécier le confort de la normalité.
" De grâce, de grâce,
Monsieur le Promoteur
Ne coupez pas mes fleurs "