A l'écart du sentier, près de la cascade du Grand Gornand, il ne serait pas étonnant de rencontrer, bondissant dans la végétation exubérante, un lutin rieur ou même, enveloppée d'un halo, une fée envoûtante. Maupassant, qui situe l'action de son roman "Mont-Oriol" dans les gorges d'Enval, ressentait déjà cette impression : " on eût dit une de ces introuvables retraites où les poètes latins cachaient les nymphes antiques. Il semblait à Christiane qu’elle venait de violer la chambre d’une fée."
L'Ambène n'est qu'une toute petite rivière, qui alimente d'abord le Bédat puis la Morge avant de rejoindre enfin l'Allier. Mais en dévalant une pente raide qui débouche sur la plaine de Limagne, elle a eu la force de creuser des gorges, tellement étroites qu'en les remontant il devient impossible de se glisser entre les parois : on arrive au " Bout du Monde ".
" La gorge, de plus en plus resserrée et tortueuse, s’enfonce dans la montagne. On franchit des pierres énormes. On passe sur de gros cailloux la petite rivière, et après avoir contourné un roc haut de plus de cinquante mètres qui barre toute l’entaille du ravin, on se trouve enfermé dans une sorte de fosse étroite, entre deux murailles géantes, nues jusqu’au sommet couvert d’arbres et de
verdure. "
" Une autre marche, un peu plus loin, barrait de nouveau ce couloir de granit ; ils la gravirent encore, puis une troisième, et ils se trouvèrent au pied d’un mur infranchissable d’où tombait, droite et claire, une cascade de vingt mètres, dans un bassin profond, creusé par elle, et enfoui sous des lianes et des branches. "
A la sortie des gorges, la source Marie, perdue et retrouvée, a été remise en eau en 1999.
Elle porte le nom de la gardienne décrite par Maupassant, " une femme impassible que tout le monde appelait familièrement Marie. Cette calme Auvergnate, coiffée d’un petit bonnet toujours bien blanc, et presque entièrement couverte par un large tablier toujours bien propre qui cachait sa robe de service, se levait avec lenteur dès qu’elle apercevait dans le chemin un baigneur s’en venant vers elle.
L’ayant reconnu elle choisissait son verre dans une petite armoire mobile et vitrée, puis elle l’emplissait doucement au moyen d’une écuelle de zinc emmanchée au bout d’un bâton.
Le baigneur triste souriait, buvait, rendait le verre en disant : « Merci, Marie ! » puis se retournait et s’en allait. Et Marie se rasseyait sur sa chaise de paille pour attendre le suivant. "
En réalité, ce sont les thermes de Châtel-Guyon qui ont accueilli les malades, séduits par la brochure tellement appétissante rédigée par un médecin de la station (que Maupassant appelle Bonnefille) : " Il débutait en vantant les séductions alpestres du pays en style majestueux et sentimental. Il n'avait pris que des adjectifs de choix, de luxe, ceux qui font de l'effet sans rien dire. Tous les environs étaient pittoresques, remplis de sites grandioses ou de paysages d'une gracieuse intimité. Toutes les promenades les plus proches possédaient un remarquable cachet d'originalité propre à frapper l'esprit des artistes et des touristes. Puis brusquement, sans transitions, il était tombé dans les qualités thérapeutiques de la source Bonnefille, bicarbonatée, sodique, mixte, acidulée, lithinée, ferrugineuse, etc., et capable de guérir toutes les maladies."
La source minérale d'Enval, qui pourtant possède les mêmes qualités, ne fut que modestement exploitée, par "une vieille femme qui l'a enfermée dans une cahute et qui la vend aux amateurs ", selon George Sand.
Une association, l'APAGE, entretient des sentiers balisés (1) qui permettent, notamment d'atteindre une table d'orientation.
" En face s’étendait une plaine infinie qui donnait aussitôt à l’âme la sensation d’un océan. Elle s’en allait, voilée par une vapeur légère, une vapeur bleue et douce, cette plaine, jusqu’à des monts très lointains, à peine aperçus, à cinquante ou soixante kilomètres, peut-être. Et sous la brume transparente, si fine, qui flottait sur cette vaste étendue de pays, on distinguait des villes, des villages, des bois, les grands carrés jaunes des moissons mûres, les grands carrés verts des herbages, des usines aux longues cheminées rouges et des clochers noirs et pointus bâtis avec les laves des anciens volcans. "
1- "APAGE" : Association pour l'aménagement des gorges d'Enval
(cliquer sur l'image pour agrandir)