Le mardi 19 août, nous déplorons déjà une perte dans nos rangs : une pupe de diptère - disons, pour simplifier, une larve de mouche, dans son dernier stade d'évolution - est découverte près de N°5, qui donc avait été parasitée.
Mercredi 20, N°5 accouche d'un deuxième intrus.
Jeudi 21, l'horreur continue : le jardinier croit revoir Alien, alors que du corps vidé de son amie N°3 - qui lui avait offert quelques jours plus tôt le spectacle de sa nymphose - s'extrait en se contorsionnant un asticot repu.
Vendredi 22, le jardinier inspecte le fond de la boîte, et découvre dans les orties séchées encore six larves identiques aux précédentes. Parmi les nymphettes immobiles, il ne fait pas de doute que N°2, petite et noirâtre, a elle aussi été infestée. De plus en plus habité par les images d'Alien, le jardinier se demande si dans cet équipage miné par un envahisseur sournois, il trouvera son lieutenant Ripley.
Les jours passent, dans l'inquiétude mais sans nouvelle victime apparente... Jeudi 28 août, dans le cockpit près de ses deux collègues momifiées, N°1 a plutôt bonne mine.
A l'arrière, un mince espoir de survie subsiste pour N°4, qui n'a que partiellement noirci :
Samedi 30 août, l'émotion est à son comble : dans l'après-midi, N°1 laisse apparaître, en transparence, les yeux caractéristiques de son espèce, qui orneront ses ailes déployées. La naissance est proche.
Dimanche 31 août, le jardinier s'empresse de nous rendre visite. Il a compris que N°4 ne s'éveillera pas, mais je suis là, moi N°1, prête pour l'éclosion.
Il va, il vient, il surveille, mais se laisse quand même surprendre, car ma sortie est très rapide. Me voici donc, seul dans cette équipe à atteindre l'état de papillon. On m'appelle
paon du jour
Il faut maintenant me laisser le temps de récupérer, de défroisser mes ailes, de m'endurcir.
Je ne me détache de mon enveloppe vide qu'au bout de deux bonnes heures.
10 h 50 - la trace rouge, c'est un déchet que j'ai éliminé après la naissance
(le méconium, chez les papillons comme chez les humains)
Mes tentatives d'envol me conduisent à la porte. Il est temps que le jardinier l'ouvre.
C'est parti, je vais découvrir le vaste monde ! Après un vol d'une quinzaine de mètres, je fais un premier arrêt, puisje repars, me posant de ci, de là. Je butine un souci, et bientôt je m'éloigne.
Je dispose de beaucoup de temps jusqu'à l'hiver, lorsque le froid m'obligera à chercher un un abri. Je me réveillerai en mars, et je volerai encore jusqu'à la fin du printemps, après m'être accouplé pour que le cycle continue, tant qu'il y aura des orties.
Le jardinier est satisfait d'avoir mené à bien son expérience. Il faut dire qu'encore une fois, André Lequet l'a bien aidé, en décrivant précisément, dans son article consacré à inachis io (c'est mon nom scientifique), toutes les étapes de l'opération.
Quant aux pupes de diptères, elles sont toujours là, mais le jardinier ne les aime pas. Il leur en veut d'avoir causé la mort de ses protégées, et il ne se sent pas une vocation d'éleveur de mouches. Il va les relâcher dans la nature, et les laisser vivre leur vie.
Le 20 septembre, je suis de retour, attiré par les zinnias
(ou bien, si ce n'est moi, c'est donc mon frère)